Sur le podium du manque de confiance vis-à-vis de son système, la France met en péril son leadership sur la scène européenne et mondiale et sa capacité à agir pour relever les défis qu’elle a à relever à l’échelle nationale et globale. A l’heure où le prospectiviste Jérémy Rifkin appelle à une civilisation de l’empathie pour sortir d’un monde en crise, la défiance croissante dans les relations sociales condamnerait à l’inverse à l’inaction et au repli rendant impossible l’adhésion à un projet collectif, pourtant nécessaire et salvateur.
La confiance : une valeur perdue en France ?
Les multinationales comme Google et les grandes entreprises françaises comme Décathlon, Leroy Merlin ou LVMH qui occupent le palmarès des Great Places to work l’ont bien compris : la confiance auprès de leurs collaborateurs est devenu un actif immatériel majeur qui sous-tend la performance économique et la réputation de l’organisation, que l’on doit construire autour de valeurs partagées. Authentique ou pas, on n’a jamais autant parlé dans le secteur privé de bienveillance, de bien-être. A l’inverse, cette valeur est en berne dans la société civile. Si la crise de confiance est mondiale, la France est championne du monde de cette défiance, mesurée par le « trust baromètre » (baromètre de confiance) Edelman, avec 72% de personnes interrogées déclarant avoir totalement « perdu foi dans le système », juste avant le Mexique et l’Afrique du Sud. A titre de comparaison, le Danemark affiche un taux de crédit pour ses institutions de 75% et est devenu un modèle de société de confiance qu’on lui envie.
Un indice de santé de notre démocratie
La perte de confiance en France se traduit dans l’état d’esprit général. D’après le baromètre CEVIPOF Sciences Po 2017, réalisé par Opinion Way, la méfiance, la lassitude et la morosité caracolent loin devant le sentiment de bien-être et de sérénité, donnant ainsi raison à Pierre Rabhi, essayiste engagé et fondateur du mouvement Colibri, qui pointe notre échec à « mettre de la joie dans notre société ». Cause ou conséquence, nous serions seulement 4 sur 10 à faire confiance à une personne rencontrée pour la première fois et 73% pensent que l’on est jamais assez prudent quand on a affaire aux autres. Quant à la relation aux acteurs politiques, ce sont les sentiments de « méfiance et de dégout » qui prédominent et 9 personnes sur 10 pense que les politiques ne se préoccupent pas de ce que pense la population. Peut-on encore parler de démocratie représentative dans notre pays et comment ne pas se condamner à l’immobilisme dans un tel contexte ?
Conscience individuelle du projet collectif : la clé de l’engagement
Dans les sociétés de confiance comme le Danemark, le secret réside dans la modestie et l’adhésion individuelle au projet collectif, comme en témoignage Malene Rydhal, auteur du best-seller « Le Bonheur d’être danois » qui souligne aussi la bienveillance à l’oeuvre dans les relations sociales. En résulte une société plus harmonieuse parce qu’égalitaire et tolérante, et une meilleure conscience partagée du mieux vivre ensemble, de la qualité de vie et de la protection de son environnement. Parce ce que chacun est fier du rôle qu’il tient dans la société, et pour lequel il est reconnu qu’il soit professeur ou éboueur, chacun se sent engagé vis-à-vis de cette société. La vitalité et le dynamisme d’un pays tiendraient à ce contrat passé entre les citoyens et leurs représentants à condition que ceux- ci soient exemplaires. C’est donc sans surprise que le Danemark est aussi le pays le moins corrompu au monde et que le triste record de défiance de notre pays coincide avec une succession d’affaires mettant en doute la loyauté de nos politiques.
Agir pour le mieux vivre ensemble
Sans ce contrat de confiance, nous sommes réduits au rôle de spectateurs ou de victimes qui délégueraient leur responsabilité personnelle à de nouveaux gourous excitant les frustrations et amplifiant les clivages – parfois à grands coups régressifs de testostérone guerrière et narcissique. Nous faisant définitivement oublier que l’acte d’élire est un choix d’adhésion pour porter des actions et non un acte de colère qui agit comme sanction et de fascination pour celui qui l’incarne.
Ce que nous avons à construire pourtant réclame tout autre chose. Préserver notre leadership de nation éclairée sur une scène internationale et protéger nos démocraties des totalitarismes. Sauvegarder l’un des acquis du projet européen le plus précieux de notre siècle qu’est la paix. Se mobiliser massivement et ensemble pour ne pas atteindre le point de non retour de conditions de vie qui deviendraient intenables sur terre. En d’autres termes être acteur du changement et rester maîtres de notre destin.
Loin des yeux, loin du coeur
Or dans notre pays, plus l’institution est éloignée de la vie locale, moins elle est créditée. Ainsi 64% d’entre nous ont confiance dans leur conseil municipal, 38% dans l’Union européenne et seulement 26% dans les grandes conférences internationales. Ce qui pose nécessairement plusieurs questions : celle de l’adhésion du plus grand nombre aux enjeux traités majoritairement à l’échelle globale, en premier lieu la question environnementale et la lutte contre le changement climatique (toujours très loins dans les préoccupations derrière l’emploi et le pouvoir d’achat) ; celle de l’éloignement progressif du projet de société qu’est la construction européenne qui nous a fédérés pendant 60 ans ; celle enfin du risque de repli nationaliste au patriotisme douteux. Un risque qui se traduit déjà dans la large majorité de français opposés à l’accueil des migrants dans leur pays. Un sentiment toutefois, et hélas, loin d’être une exception française.
« Soyez le changement que vous voulez voir »
La société change si l’on incarne soi-même le changement que l’on veut voir selon le précepte de Gandhi souvent cité aujourd’hui. Le changement viendra de notre comportement au quotidien et de notre prise de responsabilité individuelle, non pas d’une fascination aveugle pour un miraculeux messie ou tribun au talent oratoire qui épuisera sa capacité à nous convaincre une fois au pouvoir . De notre envie de collaborer humblement pour un projet de société qui fasse sens et pour lequel nous savons désigner un représentant. Au nom de l’intérêt général au-delà des égos et des corporatismes. De notre refus de jouer le jeu de l’extrémisme et du populisme et celui des tribunaux médiatiques. D’accorder à nos enfants la liberté d’être soi et leur apprendre la confiance en eux et la confiance dans les autres. De notre vigilance à ne pas s’enfermer dans des petites communautés d’opinions dressées les unes contre les autres, sous l’effet amplificateur des réseaux sociaux.
Nous nous rétractons dans la peur quand il faut s’ouvrir dans l’enthousiasme et l’optimisme pour un nouveau projet de société dans lequel nous nous sentirions citoyens d’une France dynamique, d’une Europe repensée et d’un monde désirable. « Nous ne savons même plus que nous sommes citoyens » résume le philosophe Yves Michaud. La confiance n’est pas une utopie, elle est la condition de vitalité et la valeur cardinale de notre démocratie, matrice de sécurité et de croissance. La retrouver c’est tout simplement retrouver les conditions du bonheur et la fierté d’appartenance à une communauté humaine solidaire face au spectres de violence et de destruction.
Vanessa Logerais
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