D’ici 2050, les océans pourraient contenir en poids autant de plastique que de poissons selon la Fondation Ellen MacArthur.

Les Nations Unies ont adopté en 2022 un mandat de négociation pour un traité mondial et juridiquement contraignant applicable d’ici fin 2024. L’objectif est triple : limiter la production de plastique à la source, assurer une gestion et un recyclage efficaces des déchets plastiques, promouvoir une économie circulaire des plastiques qui protège l’environnement et la santé humaine. Les entreprises devront donc anticiper une toute nouvelle ère « post plastique », en apprenant à se passer du matériau à l’origine d’une pollution inédite à l’échelle planétaire.

Afin de décrypter l’avancement du traité, Parangone a recueilli les propos de Muriel Papin – Déléguée générale de No Plastic In My Sea, et de Marie-France Dignac, Directrice de recherche à l’INRAE et membre du comité de direction de la Coalition des Scientifiques pour un traité efficace sur les plastiques qui était présente à Ottawa.

 

Quelles issues pour cette 4ème session de négociation à Ottawa ?

Le processus prévoit cinq sessions de travail des Comités intergouvernementaux de négociation (CIN) sur une période de deux ans pour parvenir à un accord sur les termes du traité. C’est une temporalité exceptionnellement courte pour ce type de négociation qui marque une volonté du législateur d’accélérer la décision. Les trois sessions précédentes avaient exclu le thème de la réduction de la production de plastique à la source. La quatrième, qui s’est tenue à Ottawa du 23 au 29 avril, a enfin introduit cet enjeu majeur.

Partie prenante du CIN-4, Marie-France Dignac, directrice de recherche à l’INRAE, témoigne que « Les scientifiques sont sortis satisfaits de la session d’Ottawa puisque deux “groupes de travail intersession” – permettant que des experts avancent sur les travaux techniques entre les sessions de négociation – ont été instaurés : un sur les enjeux de financement du traité, l’autre sur les produits chimiques, composants des plastiques. Ce dernier sujet était source de tension dans les négociations, certains pays refusant d’admettre la pollution plastique en tant que pollution chimique. ». Les groupes de travail d’experts pourront donc les approfondir avant la dernière session qui aura lieu en Corée du Sud fin novembre 2024.

“Dans les coulisses des négociations, les Etats se livrent une bataille sans merci” confie Marie-France Dignac. Ils se divisent en deux blocs : « On compte actuellement 65 pays de haute-ambition qui veulent un traité juridiquement contraignant fondé sur des connaissances scientifiques. Et une dizaine de pays qui s’y opposent – pour la majorité des pays producteurs de pétrole. »

L’enjeu majeur est ici : ces pays refusent tout plafond sur la production de plastique en limitant le périmètre d’action au recyclage. Au niveau mondial, seulement 9% du plastique est recyclé et ce type de recyclage rencontre de grandes difficultés techniques. Avec 200 lobbyistes présents à Ottawa, les géants de la pétrochimie sont à l’origine de beaucoup d’obstructions dans les étapes du traité, et contribuent à semer le doute sur le bien-fondé des informations scientifiques, voire à diffuser des fake-news.

« Si l’on devait amoindrir l’ambition, nous échouerions à agir sur l’ensemble du cycle de vie du plastique. Le nœud est donc ici : optimiser le recyclage et une meilleure gestion des déchets est essentiel. Mais ça ne suffira pas pour agir à la mesure de la gravité et de l’urgence de la situation » Muriel Papin – No Plastic in my Sea

 

Du sommet de l’Everest au placenta, l’urgence d’agir face aux conséquences visibles du plastique

Nous sommes dans une ère qu’il serait pertinent de qualifier de « Plastocène ». Parce qu’il est malléable, résistant, léger et peu onéreux, le plastique est omniprésent dans notre quotidien et dans notre environnement, des profondeurs des océans aux sols, jusqu’au lait maternel. « Une étude dans les Yvelines a révélé des accumulations de 400 kg de microplastiques par hectare après 20 ans d’épandage, ce qui équivaut à 80 000 sacs plastiques émiettés dans le sol » affirme la Directrice de recherche à l’INRAE spécialisée sur le sujet. Ces microplastiques altèrent la structure du sol, nuisent aux micro-organismes et aux plantes. La présence de ces particules dans les sols remet en cause la sécurité alimentaire car elles sont absorbées par les cultures et peuvent affecter les rendements.

Ce plastique nous l’ingérons aussi à hauteur de cinq grammes par semaine selon une étude de WWF de 2019. La question des additifs chimiques et des perturbateurs endocriniens présents dans les plastiques est dès lors soulevée. Le récent rapport du projet PlastChem en mars 2024 dénombre « plus de 16 000 additifs dans les plastiques du commerce, dont 4000 ont des effets toxiques avérés sur les organismes et seulement 4% sont interdits sur le marché. De nombreux plastiques mis sur le marché sont toxiques pour l’environnement. ». C’est un sujet majeur de santé publique qui a grand intérêt à l’aboutissement d’un traité global.

 

Changer de paradigme avec les entreprises et les ONG

« Aujourd’hui, 60% des plastiques produits sont des emballages à usage très court. Emballer des fruits et des légumes n’a pas d’impact positif alimentaire donc on pourrait s’en passer. C’est encore une pression des lobbys qui imposent ce modèle de conservation et de distribution. » explique Marie-France Dignac.

Face à ce constat, certaines entreprises sont en première ligne vers cette mutation et n’ont pas attendu les décideurs publics et internationaux pour relever ce défi.

Afin de réduire leur impact dès le début de leur chaine de production, elles innovent sans cesse. Par exemple, dans le secteur de la cosmétique, les emballages sont de plus en plus éco conçus, rechargeables, ou vendus en vrac. De nombreuses start-ups s’engagent dans cette voie en proposant des emballages réutilisables et consignés comme des colis en tissus recyclés ou des bouteilles en verre.

Les ONG jouent un rôle clef dans la promotion de solutions alternatives et collaborent avec les entreprises et startups motrices. No Plastic in my Sea a créé à ce titre un guide avec 500 solutions à la pollution plastique. Réemploi des emballages, vrac, formats solides ou à diluer sont autant d’illustrations dans lesquels l’association croit beaucoup. Muriel Papin en appelle notamment aux entreprises qui ont le pouvoir d’agir à grande échelle : « Ça réduit l’empreinte carbone, ça réduit l’empreinte plastique, ça réduit les coûts de stockage. Enfin, c’est souvent moins cher pour le consommateur. Aux grands groupes de s’en emparer ! »

 

Sommes-nous capables de nous en passer ?

1 million de bouteilles en plastique sont encore produites chaque minute dans le monde, ce qui soulève la question de nos habitudes et de notre capacité à adopter de nouvelles alternatives.

En France, en dépit d’une eau du robinet potable et de la loi AGEC contre le plastique à usage unique, la bouteille d’eau en plastique reste de loin le produit le plus vendu en grande surface.

Pourtant, « L’eau embouteillée a connu de nouveaux scandales cette année sur des sujets de qualité ou de tromperie du consommateur » constate Muriel Papin. Le consommateur a donc un rôle à jouer en changeant son mode de consommation.

Bannir les bouteilles plastiques, c’est le choix audacieux qu’a fait Biocoop qui a interdit strictement, depuis 2017, la vente d’eau en bouteille sur son réseau.

Les entreprises plus globalement aussi sont des parties prenantes essentielles vers ce changement. Les politiques RSE offre déjà un cadre pour agir de façon volontaire qui participe à réduire la consommation plastique au sein de l’entreprise. Pour les aider, le site « Objectif zéro bouteille plastique » par exemple permet aux entreprises de trouver facilement des solutions dans leurs locaux ou pour leurs évènements.

L’élimination de la pollution plastique nécessite une action mondiale forte. Seules les normes internationales et juridiquement contraignantes auront le pouvoir de faire la bascule. C’est pourquoi l’enjeu autour de ce traité est crucial.

Cette dernière session fin novembre s’envisage donc avec des avancées sur les questions chimiques mais aussi avec des points de friction comme la réduction de la production.

La véritable révolution viendra de l’engagement volontaire des entreprises à aller au-delà de la stricte conformité et à s’engager pour mener une transformation durable dans le but de protéger la biodiversité. Comment ? En analysant le cycle de vie des produits, en collaborant avec des partenaires scientifiques, en investissant dans la recherche, mais aussi en intégrant au plus haut niveau ces sujets dans leur politique RSE.

 

Un grand merci à Muriel Papin et Marie-France Dignac pour leur contribution et leur disponibilité.

L’article est rédigé par Alix Bustarret

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