Dans le cadre de la présidence française européenne, 3 tables rondes organisées par la Direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités et modérées par PARANGONE – Entreprise à mission ont réuni, le 24 février 2022, 20 intervenants européens, représentants de la commission et du parlement européens, d’organisations professionnelles, d’entreprises ferroviaires en France, Italie, Belgique, Autriche.

Objectifs : s’accorder entre états membres et opérateurs européens sur les constats affectant les performances du transport ferroviaire de marchandises (qui représente 18% en moyenne sur le périmètre de l’Union européenne), les priorités en termes de financement, d’innovation technologique, servicielle, organisationnelle, et les conditions pour progresser vers plus de dialogue et d’harmonisation des pratiques.

Un immense défi alors que la Commission européenne a réaffirmé le rôle crucial que le train doit jouer dans l’atteinte des objectifs climatiques par :

➡️ la création d’un espace ferroviaire unique européen
➡️ un objectif de doublement de la part modale du fret ferroviaire
➡️ une contribution aux objectifs de réduction des émissions de l’UE d’au moins 55% en 2030
➡️ une réduction de 90% des émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050

Parce que notre vocation est d’éclairer les entreprises pour construire et faire grandir leur stratégie de responsabilité sociétale, cet événement adressé aux experts et acteurs du secteur de la logistique ferroviaire est l’occasion d’en aborder les thèmes de façon accessible à travers cet article. Car le transport de marchandises – comment en serait-il autrement au regard de la part du secteur dans les émissions de GES –  est un levier majeur de la politique climat des entreprises, et, au-delà, de consommation responsable des citoyens. Alors préparez-vous à prendre le train en marche !

Le fret ferroviaire comme solution de décarbonation

Avec 6 fois moins d’énergie consommée, 8 fois moins d’émission de particules nocives et 9 fois moins d’émissions de CO2 par rapport au transport routier, le fret ferroviaire s’impose comme une solution écologique de transport sur la longue distance. La prise en compte de ses effets positifs (en termes de bruit, pollution, émissions de gaz à effet de serre, accidentologie etc.) par rapport au mode routier fait l’objet de soutiens variés à travers les Etats-membres de l’Union : 16 ministres européens des transports ont récemment soutenu une déclaration française le 30 mars 2021 appelant la Commission à faire du soutien au fret ferroviaire un pilier du pacte vert européen.

Lancé en 2019, ce pacte vert pour l’Europe engage les États vers la réduction des émissions nettes de gaz à effet de serre. L’objectif est de les réduire de 55% en 2030 (soit dans 8 ans !). Or les transports, au niveau européen, représentent 26 % des émissions de gaz à effet de serre. Il s’agit du seul secteur qui continue de les voir augmenter (+33 %). Il y a donc urgence à agir et le train est vu aujourd’hui comme un mode sur lequel devraient se reporter des flux internationaux dominés par l’aérien et la route. C’est pourquoi on parle de « report modal » ou d » »intermodalité » pour désigner une politique volontariste à la fois des pouvoirs publics et des opérateurs privés de reporter certains flux sur le rail.

Pourtant la part du fret ferroviaire en Europe ne représente que 18%. Et la France est en voie de devenir le maillon faible de l’Europe ferroviaire avec une part de 9% lorsque d’autres Etats-membres affichent un taux de 30% comme en Autriche. Alors, si les avantages écologiques du train sont si évidents, qu’est ce qui coince ?

Entre volontarisme politique et distorsions du libéralisme des échanges

Face au déclin industriel du rail à partir des années 70, l’Europe s’est pourtant préoccupée de la question. Mais l’accomplissement de l’ambition d’un espace ferroviaire unique en Europe s’est heurté à de nombreux obstacles : la popularité croissante de l’automobile et de l’aérien bien sûr, mais aussi certains caractéristiques historiques du secteur.

En effet le rail a été jusqu’à la privatisation et l’ouverture à la concurrence – et l’est encore dans plusieurs  pays – le monopole naturel des États membres, du fait de l’importance des investissements qu’il nécessite.

« Le fret ferroviaire s’est ainsi toujours développé au sein des frontières nationales. Cette situation a donc créé un morcellement juridique et technique de l’espace ferroviaire européen. »

Après une première législation en 1991 pour séparer comptablement la gestion d’infrastructures et l’exploitation, le « paquet ferroviaire européen » de 2001, puis ceux de 2003 et 2007 ouvrent le secteur ferroviaire à la concurrence en permettant un accès non discriminatoire aux marchés ferroviaires et en instaurant des mécanismes d’interopérabilité . Cette libéralisation du fret c’est aussi le pari que l’émergence de nouveaux opérateurs sauront stimuler l’innovation et transcender les frontières au nom de la performance économique.

Dès 2010 cette politique pour lutter contre le déclin du rail s’avère inefficace :  le jeu de la concurrence est contraint par de nombreux facteurs et favorise les investissements les plus rentables ; le niveau d’investissement reste bien en deçà des besoins de modernisation des infrastructures : le transport de passagers reste souvent prioritaire sur les sillons. La part modale du ferroviaire a même décru.

La Commission européenne adopte alors une 4ème paquet ferroviaire en 2016 pour améliorer la compétitivité du secteur. L’achèvement de sa mise en oeuvre en 2021 converge avec la Stratégie de mobilité durable et intelligente présentée en 2020 par la Commission pour contribuer à la réalisation du Pacte Vert Européen.

Pour autant le bilan en 2022 reste très mitigé : les nouveaux entrants sur le marché ont certes stimulé l’offre et l’innovation mais cela ne suffit pas pour reporter significativement des flux routiers sur le rail.

En termes de concurrence intramodale, nous avons vu entrer de nouveaux opérateurs, avec une grande diversité d’offres. Du point de vue de la prise de marché, le bilan est plus décevant : les opérateurs n’ont pas investi tous les marchés. Marc Papinutti Directeur général, Direction générale des Infrastructures, des transports et de la mer, ministère de la Transition écologique, France

Développer la performance des flux internationaux de fret ferroviaire

Développer la performance du fret ferroviaire en Europe, c’est faire en sorte que la solution du train soit privilégiée par les transporteurs et intégrée dans les supply chain des entreprises pour qui, bien que les politiques de responsabilité environnementale progressent, priment la qualité de service, la rapidité et la fiabilité de la solution d’acheminement. Or le transport de marchandises par rail est entravé par plusieurs facteurs : l’absence d’un guichet unique européen, la disponibilité des sillons souvent préemptée par le transport de passagers, le temps de transport impacté par les travaux de rénovation des infrastructures, sans oublier l’acceptabilité sociétale, notamment pour les trains de nuit, le manque de reconnaissance de ses atouts écologiques, et tout simplement la difficulté du dialogue entre les opérateurs des états membres.

« Intégrer la solution ferroviaire lorsque l’on est un énergéticien ou un acteur de la grande distribution est d’un grand intérêt dans le cadre des politiques RSE et climat de l’entreprise, mais trop de facteurs découragent encore la prise de décision. »

Nous allons donc formuler une nouvelle proposition d’ici le début de l’année prochaine, qui abordera également le transport de passagers. Des projets du Redesign Timetable (RTT) visent à définir une stratégie à long terme, en conservant une flexibilité de capacité pour les trains de fret. Kathrin Obst. Cheffe d’unité Espace ferroviaire unique européen, DG Move, Commission européenne

Pendant la crise, nous avons vu l’impact des ruptures dans la supply chain pour l’économie, mais également les particuliers. La fiabilité est un des facteurs les plus importants en logistique. Roman Stiftner, Président du European Shipper’s Council 

L’enjeu est tel que dans le cadre de la présidence française du Conseil européen et de l’élection présidentielle, la mobilisation des acteurs du ferroviaire en France s’organise et se fait de plus en plus pressante. L’alliance « Fret ferroviaire français du futur » (4F) en est une figure de proue. Sous l’étendard de l’objectif de doublement de la part modale du ferroviaire d’ici 2030 pour répondre au dérèglement climatique, elle réunit de façon inédite tous les acteurs du ferroviaire. L’objectif : proposer un ambition forte aux pouvoirs publics à travers un plan de relance renforcé pour le transport ferroviaire et transport componé rail/route et une charte d’engagement à l’attention des candidats à l’élection présidentielle ainsi qu’un projet de création d’éco label décarbonation, entre autres. Des propositions sous-tendues bien sûr par la question du financement qui se répercute en chaîne, plus ou moins intensément selon les pays : les Etats-membres demandent plus à l’Europe, les acteurs du secteur demandent plus aux Etats.

Nous devons répondre à l’enjeu de fibailibilité et de qualité de service de façon très pragmatique. Nous travaillons avec l’alliance 4F. Nous avons en outre tétabli le catalogue sillons 2023 qui permet à nos clients fret de préparer leurs commandes. Nous avons augmenté de 15 % le nombre de sillons adaptés aux besoins du fret, afin de répondre à cette demande croissante. Isabelle DELON, Directrice Clients et services, SNCF Réseau, France 

« Si le plan de relance a prévu pour le fret ferroviaire 1 milliard d’euros, dont 4F n’a pas encore la garantie, 4F évalue le besoin de financement à 10 milliards d’euros d’ici 2030 » Alliance 4F

Construire l’espace ferroviaire européen

« La plus grande difficulté en matière de transport ferroviaire des marchandises, ce sont…les frontières et la disponibilité des « sillons » d’un pays à l’autre, une contrainte que la route n’a pas. »

Projet en discussion depuis les années 1980, le réseau transeuropéen de transport (RTE-T) ambitionne d’éliminer les barrières qui existent entre les réseaux de transport des États membres, afin de créer une seule zone de transport européenne. C’est dans ce contexte qu’ont été crées les « corridors ferroviaires » pour permettre une circulation internationale harmonisée des trains de marchandises sur un axe transfrontalier et offre un portail unique aux clients pour réserver leurs sillons. Il existe aujourd’hui 9 corridors. Le corridor Meditérannée en est un des plus important : il permet de traverser 5 pays de l’Union européenne et relie l’Afrique et l’Asie.

Mais là encore les résultats se font attendre dans plusieurs domaines : la gestion du traffic, l’allocation des sillons, la coordination des travaux. En cause des approches encore trop nationales, une problématique de langues (quand l’aérien a adopté l’obligation linguistique de l’anglais), et le coût des investissements nécessaires aux travaux de rénovation. Par ailleurs circuler sur ces corridors suppose des arrêts fréquents selon les pays traversés et de nombreuses interventions humaines pour ré-aiguiller les trains ou pour rattacher les wagons.

Comme dans beaucoup d’autres secteurs, l’innovation, notamment digitale, catalyse beaucoup d’espoir pour booster et parachever cette construction.

L’innovation au service de l’atteinte des objectifs de report modal

L’enjeu est tel que la Commission européenne a lancé, le 16 septembre 2021 dernier, un nouvel appels à projets dans le cadre du volet transport du Mécanisme pour l’Interconnexion en Europe (MIE-T).doté d’un budget de 23,7 milliards d’euros.

« L’innovation technologique en effet promet une meilleure gestion internationale des circulation, un échange de données plus rapide, plus fiable et plus efficace et une gestion « intelligente » des capacités. Les opérateurs se prennent même à rêver que les clients puissent un jour acheter leur billet pour leur logistique comme ils le feraient pour un voyage individuel. »

Le numérique bien entendu est au coeur de cette innovation, à commencer par le partage de données concernant les trains, leur composition, l’infrastructure, les horaires, les conditions de circulation, etc…et donc à l’harmonisation du format de ces données. RailNetEurope porte par exemple le projet TTR (Time Table Redesign) soutenu par la Commission européenne, qui permettra à l’opérateur d’obtenir des données relatives à sa réservation de sillon  en toute transparence, sur les travaux, les horaires, les caractéristiques de l’infrastructure, et ce de façon stable. L’objectif est l’amélioration de qualité de service avec un accès facilité à l’infrastructure et à la réservation de capacité à l’échelle internationale.

Nous considérons que la data est un asset fondamental, comme la locomotive ou le wagon, pour les industriels comme pour les opérateurs. Elle doit être orientée vers l’usage. Jerome Delorme, Président rail Loigistics Europe

Cet effort d’innovation porte également sur le matériel roulant. Le train autonome et l’attelage automatique de wagons comment parmi les innovation les plus prometteuses. La première, déjà une réalité en Finlande par exemple et en phase de prototype en France promet une ponctualité améliorée, un trafic plus fluide, une consommation d’énergie réduite et une capacité plus importante de circulations, tandis que la deuxième  permettait de réduire le temps de préparation d’un train de 4h à 30′. Autant d’optimisations qui cherchent à combler le déficit d’attractivité par rapport au transport routier.

Enfin, le transport ferroviaire, bien que présentant le plus fort atout en matière de transport, n’est pas exempt d’efforts environnementaux : la majorité des lignes ferroviaires est certes aujourd’hui électrifiée en France, mais à l’échelle européenne, la moitié des parcours est encore effectuée par des motorisations diesel. L’objectif, pour ne pas se laisser distancer sur cet avantage compétitif, est d’apporter une solution permettant de décarboner l’ensemble de la circulation. L’alternative ? Le train à hydrogène. Engagé en faveur de l’atteinte des objectifs de report modal, le groupe Alstom se veut pionnier de cette mobilité hydrogène avec de future locomotives pour fret en cours de fabrication.

 

L’Europe du Pacte vert a dix ans pour faire chuter de 55 % ses émissions par rapport à 1990,  trente ans  pour que notre continent devienne neutre en carbone. Dans le cadre des objectifs environnementaux établis au niveau européen, le fret ferroviaire pourrait bien connaître un nouvel essor attendu depuis longtemps par les acteurs du secteur, alors que les émissions liées au transport ne diminuent pas depuis de nombreuses années. Cette fois, la mobilisation est perceptible. Encore faut-il que les nombreuses organisations sectorielles en Europe parviennent à converger efficacement vers des outils, des méthodes et une culture commune pour achever l’espace ferroviaire européen et faire du train intelligent une nouvelle réalité pour les logisticiens et les entreprises. Forte de son implication historique auprès des acteurs de la mobilité depuis 12 ans, Parangone poursuivra avec d’autant plus d’engagement sa collaboration avec les instances françaises et européennes pour contribuer à la médiation nécessaire à cette transformation.

Vanessa LOGERAIS

Note : la coalition 4F, Fret Ferroviaire Français du Futur, qui réunit les principales entreprises de transport ferroviaire de marchandises : Fret SNCF, DB Euro Cargo Rail, VFLI, Europorte, Lineas, RegioRail, Millet Rail, mais aussi les principaux opérateurs de combiné multimodal en France : Novatrans, Naviland Cargo, T3M, Froidcombi, l’opérateur d’autoroutes ferroviaires VIIA, le commissionnaire Forwardis, les opérateurs ferroviaires de proximité (réunis au sein de l’association Objectif OFP) et les différents groupements concernés : l’Association Française du rail (AFRA), le Groupement National des Transports Combinés (GNTC), l’Association française des détenteurs de wagons (AFWP), l’Association des utilisateurs de transports de Fret (AUTF), la Fédération des industries Ferroviaires (FIF), l’Union des Entreprises Transport et Logistique de France (TLF), le Syndicat des Entrepreneurs de Travaux de Voies Ferrées de France (VFF), l’Association française des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires indépendants (AFGIFI), le Comité pour la liaison européenne Transalpine, l’association France Logistique 2025

Pour en savoir plus :

*https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/l-espace-ferroviaire-unique-europeen/

*https://www.ecologie.gouv.fr/connecting-europe-express-des-perspectives-prometteuses-transport-ferroviaire

*https://www.euractiv.fr/section/plan-te/opinion/pour-une-intermodalite-verte-le-fret-ferroviaire-doit-se-developper/

 

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