Entretien avec Mannaïg de Kersauson, Fondatrice d’OCO
La compensation carbone est à approcher avec beaucoup de prudence, parce qu’elle a parfois été instrumentalisée pour remplacer de réelles politiques de réduction des émissions de certaines entreprises ou même repeindre en vert des dérives écologiques. Or, elle peut constituer une réponse pertinente aux émissions résiduelles incompressibles, qui n’ont pas pu être réduites ou évitées. À condition d’être opérée en concertation avec l’expertise scientifique, qui garantit son bien-fondé, et suivie d’un reporting d’impact rigoureux.
Et c’est exactement ce que fait OCO, à qui Parangone a récemment confié sa contribution à la neutralité carbone. Nous vous apportons l’interview de Mannaïg de Kersauson, qui est à l’origine de cette démarche de compensation effectuée au profit de projets locaux d’agroforesterie.
Commençons peut-être par la base. Pourquoi la compensation carbone est souvent associée à la plantation d’arbres ?
Pour diminuer la quantité de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, nous avons deux leviers d’action : la diminution des émissions et l’augmentation du stockage.
Le stockage naturel se fait dans les puits de carbone que sont principalement l’océan, les sols (dont les tourbières, les zones humides…) et les surfaces arborées. Comme il est assez aisé de calculer la quantité de carbone (exprimée en CO2e) qui sera séquestrée dans un arbre au cours de sa vie, et que la croissance des arbres est visible, ils sont rapidement devenus le symbole de la « compensation carbone ». En 20 ans, un arbre peut stocker une tonne de carbone, un arbre fruitier en stocke 400kg et 1km de haie 200 tonnes.
La plantation d’arbres s’est aussi inscrite dans la lutte contre la déforestation à l’étranger.
Alors pourquoi la compensation par la plantation d’arbres pose un certain nombre de questionnements ? Les images de dirigeants politiques et managers d’entreprises les manches retroussées et pelles en main, est devenue presque la caricature du geste responsable et de la compensation carbone.
Les images de politiques et de managers en chantier de plantation ne me gênent pas du tout, au contraire ! Le milieu de l’entreprise est un formidable tremplin pour l’écologie.
Aujourd’hui, en France comme à l’étranger, les arbres souffrent, et ont massivement disparu de nos paysages. Arrachage des haies, déforestation, dérèglement climatique, agriculture intensive… En France on a perdu 450 millions d’arbre agricoles (arbres de vergers, arbres isolés et arbres alignés) depuis la sortie de la seconde guerre mondiale. Si on parle de haies, ce sont 1,2 million de kilomètres de haies disparues en France – c’est à dire 3x la distance Terre-Lune. Il y a donc urgence à replanter. Et pour financer ces plantations, on recherche des financements publics et privés, essentiellement à travers le mécénat.
Les premières structures qui ont choisi de s’appuyer sur les émissions de CO2 et la volonté de compenser pour financer des plantations ont commis des erreurs : elles ont recherché des plantations essentiellement à l’étranger, avec les écueils qui sont bien connus maintenant : plantations inadaptées, peu ou pas suivies, parfois imposées aux populations locales ou encore peu pertinentes en termes d’écologie.
De plus, de grandes entreprises ont financés des projets dans une dynamique tout sauf écoresponsable : on calcule notre empreinte carbone, on ne change rien mais on compense, alors tout va bien ! C’est ainsi que l’arbre a malheureusement été associé au greenwashing…
Depuis, une offre bien plus honnête et vertueuse est née : on peut financer la restauration des sols ou des plantations en France, avec un véritable encadrement scientifique, et un impact facilement vérifiable.
Tu peux présenter l’action d’OCO ?
OCO est un intermédiaire de financement participatif, c’est à dire que nous recherchons des mécènes, particuliers ou entreprises, pour financer des projets agroforestiers uniquement.
L’agroforesterie, ce sont des pratiques agricoles dans lesquelles ont associe les arbres aux cultures ou les arbres aux animaux, pour des bénéfices communs. Il reste des systèmes agroforestiers en France, par exemple les pré-vergers, le bocage…
Ça n’est donc pas du tout nouveau, c’est même une forme assez ancienne d’agriculture. Mais l’intensification de l’agriculture en France a écarté l’arbre de l’écosystème agricole, alors que sa présence est primordiale pour la biodiversité, le cycle de l’eau, les paysages et qu’il est un élément clé de l’adaptation au changement climatique.
Le financement des projets agroforestiers se fait le plus souvent en lien avec le bilan carbone dont dispose l’entreprise. L’empreinte carbone peut ainsi être « compensée » de façon partielle ou totale, sous forme de mécénat.
Chez OCO, on préfère parler de contribution à la neutralité carbone collective que de compensation individuelle. L’union fera la force pour limiter le dérèglement climatique !
Comment t’est venue l’idée de créer un projet qui agit à la fois pour la reforestation et à la fois comme soutien aux agriculteurs ?
J’ai toujours été très sensible à la présence des arbres dans le paysage, et leur disparition me consterne. OCO est aussi né d’un double constat que j’ai fait sur le terrain en tant que vétérinaire écologue : je rencontrais d’un côté des agriculteurs motivés, cherchant des conseils et de moyens pour changer d’agriculture et replanter des arbres ; et de l’autre côté des associations œuvrant pour le développement de l’agroforesterie en manque de financements.
A ce moment, la notion d’empreinte carbone se précisait aussi, et les forestiers se lançaient dans le système de financement par la compensation grâce au Label Bas Carbone. Nous nous sommes rapidement dit que l’agroforesterie aussi pouvait bénéficier de ce système !
Quels partenaires et/ou autorités as-tu sélectionnés pour assurer la pertinence des projets soutenus et l’étude d’impact des actions menées ?
Nous avons développé un partenariat sur le terrain avec l’Association Française d’Agroforesterie (AFAF) que je connais depuis longtemps et qui est une structure sérieuse et efficace avec un réseau important de techniciens agroforestiers. Ce partenariat nous permet de financer des projets agricoles de toutes les tailles, sur l’ensemble du territoire, et dans tous les types d’agriculture : élevage, viticulture, maraîchage… on aime la diversité !
Ton offre pour les entreprises va au-delà de la mise en place des projets de mécénats. Peux-tu détailler l’offre que tu adresses aux entreprises ?
Aujourd’hui, en France, le calcul de l’empreinte carbone n’est obligatoire que pour les entreprises de plus de 500 salariés, et il n’y a aucune obligation de compensation.
Les TPE et PME sont des structures plus souples, plus proactives, qui souhaitent aujourd’hui s’engager dans cette démarche et devancer la réglementation. Mais il n’est pas toujours facile de savoir par où commencer !
La sensibilisation est toujours un bon premier pas, parce qu’on ne protège bien que ce que l’on connaît. Ainsi, pour que les salariés et les collaborateurs des entreprises mécènes comprennent les enjeux du climat, de l’eau et de la biodiversité liés à l’agriculture, nous proposons des solutions de sensibilisation comme des conférences interactives, des ateliers-jeux ou des animations sur mesure. Nous faisons en sorte que le discours soit accessible et réaliste, mais toujours motivant.
Nous cherchons toujours à associer l’entreprise a un projet qui plaît aux équipes, par sa localisation ou sa production. Quand c’est possible, les entreprises sont bien sûr bienvenues pour participer aux chantiers de plantation : c’est l’occasion de rencontrer les agriculteurs, d’échanger sur les succès, les échecs et les projets, et surtout de reconnecter le milieu de l’entreprise au milieu agricole. Et rien de tel que le travail de la terre pour la cohésion des équipes !
Quels documents fournis aux entreprises qui s’engagent à vos côtés ?
L’Association Française d’Agroforesterie étant d’intérêt général, les dons sont défiscalisés à hauteur de 60 % pour les entreprises. Un document officiel (Cerfa) est établi pour chaque don.
Nous fournissons aussi des éléments nécessaires pour mettre en avant la démarche de l’entreprise : un certificat de contribution à la neutralité carbone collective, et tout ce qui peut être utile pour faciliter la communication autour de l’agroforesterie, du carbone et de la biodiversité qui peut parfois s’avérer difficile !