L’eau potable est encore abondamment gaspillée et polluée comme si sa rareté restait encore à prouver. La communauté scientifique est pourtant formelle depuis les années 1970 sur l’importance de la mise en place d’une gestion beaucoup plus raisonnée et durable du cycle de l’eau et pour cause : épuisable, indispensable aux écosystèmes et à la vie humaine sur terre, elle conditionne aussi massivement la fabrication de produits, de services et d’énergie. Face au défi de sa protection, indissociable de l’enjeu climatique, l’entreprise et l’industrie sont donc les acteurs stratégiques de la transformation des usages à travers leur stratégie RSE. C’est ce que prévoit la CSRD européenne.

Le stress hydrique : une nouvelle réalité européenne

Si en février dernier l’humanité s’émerveillait des traces d’eau trouvées sur Mars, ici sur Terre l’eau a aussi fait couler beaucoup d’encre et soulevé un grand nombre d’inquiétudes. Tandis que le printemps est traditionnellement la saison la plus pluvieuse, un quart de l’Europe souffre déjà de sécheresse depuis le mois d’avril. En France, 30 départements étaient déjà en partie en alerte sécheresse début juin. À date de parution de cet article, deux tiers des nappes phréatiques en France métropolitaine sont toujours sous les normales, suscitant des “inquiétudes très vives” dont a fait état  le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu.

Pas plus rassurant, le rapport de L’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) du 6 avril dernier révèle que 34% de l’eau potable distribuée en France est contaminée par des résidus du fongicide chlorothalonil, utilisé dans l’agriculture depuis les années 1980 et interdit en 2020.

Dans ce contexte, le changement s’amorce : le gouvernement espagnol annonce en mai 2023 plus de 600 millions d’aides directes aux agriculteurs, 1,4 milliard d’investissements dans les aménagements du réseau hydraulique et compte doubler le volume des eaux réutilisées d’ici 2027 ; à l’échelle individuelle, les restrictions et appels au civisme commencent à payer, c’est même spectaculaire sur le territoire français des  des Pyrénées -Orientales où la consommation globale d’eau potable a baissé « de 30% » au mois de mai. 

Si les entreprises commencent à proposer des solutions, la mobilisation des plus grands consommateurs et pollueurs est encore très loin de l’échelle d’action nécessaire, et restent même, pour les plus aquavores, la source du problème. La directive européenne sur le reporting des entreprises (CSRD), entrée en vigueur le 5 janvier 2023, permettra t-elle d’organiser ce changement d’échelle ?

 

Et si les entreprises sortaient la tête de l’eau ?

Si la consommation d’eau individuelle dans les pays dits développés est importante (notons qu’en France elle est de presque 150L/jour/habitant et aux États-Unis elle frôle les 250L), celle des entreprises pèse aussi encore davantage, notamment : 

  • Par la manufacture de produits : la fabrication d’une voiture nécessite environ 40 000 litres d’eau, celle d’un t-shirt environ 2700 et pour produire un kilo de sucre il en faudra à peu près 400 ;
  • Par l’usage agricole : l’agriculture est la première activité consommatrice d’eau avec 57 % du total d’eau prélevée et consommée en France ;
  • Par le prélèvement de la ressource pour l’industrie : l’ensemble du parc nucléaire français prélève 15,3 milliards de m3 par an pour assurer son bon fonctionnement et notamment le refroidissement des réacteurs ;
  • Par le cumul de la consommation d’eau en entreprise : un salarié dans le tertiaire consomme environ 50 litres d’eau quotidiennement ; le service de lavage de véhicules d’entreprise représente entre 40 et 300 l par véhicule.

Cette pression commence à créer des tensions et des conflits d’usage. Courant mai, alors que les niveaux des nappes phréatiques sont au plus bas, la commune de Grigny (Essonne) entre en discussion avec le géant mondial de la boisson – Coca-Cola, implantée dans les environs de la commune depuis 1986, au sujet de ses prélèvement d’eau nécessaire pour la fabrication des sodas. En effet Coca-Cola dispose d’une autorisation préfectorale lui donnant la possibilité de puiser jusqu’à 1,2 million de m³ d’eau par an depuis la nappe phréatique directement. Le maire de Grigny souligne la fragilité du niveau d’eau et qualifie d’anachronique les conditions d’usage de l’eau de l’embouteilleur, qu’il souhaite raccorder au réseau d’eau communal pour mettre fin à ce prélèvement à la source. Une proposition qui risquerait de coûter plus cher à la firme américaine, mais qui permettrait de mieux gérer la précieuse ressource. 

Un débat mouvementé est en cours et soulève une interrogation plus large sur la responsabilité sociétale des entreprises et leur rôle à jouer dans la préservation de l’eau notamment par l’intégration des principes de l’économie circulaire. 

 

Entreprises et eau : pourquoi et comment mettre de l'eau dans sa stratégie RSE

L’entreprise et la protection de la ressource eau : un enjeu de pérenité du business et du vivant !

Que dit la CSRD au sujet de l’eau ?

La nouvelle directive européenne sur le reporting des impacts écologiques et sociaux des entreprises européennes, consacre en effet une norme à part entière à l’eau et à la façon dont l’entreprise protège cette ressource et réduit sa consommation pour contribuer au plan vert européen et à la durabilité de l’économie bleue.

L’objectif de cette norme ESRS E3 est d’évaluer : 

  • comment l’entreprise affecte l’eau et les ressources marines, en termes d’impacts matériels
  • les mesures prises et leurs résultats pour prévenir ou atténuer les impacts négatifs, et pour protéger les ressources en eau 
  • comment l’entreprise contribue aux ambitions du Green Deal européen en matière d’air pur, d’eau propre, de sols sains et de biodiversité, ainsi qu’à assurer la durabilité des secteurs de l’économie bleue et de la pêche 
  • les plans et la capacité de l’entreprise à adapter sa stratégie et ses modèles d’entreprise en fonction de la préservation et de la restauration de l’eau et des ressources marines au niveau mondial
  • la nature, le type et l’étendue des risques et opportunités importants de l’entreprise découlant de l’impact et de la dépendance de l’entreprise à l’égard de l’eau et des ressources marines et la manière dont l’entreprise les gère
  • les effets financiers sur l’entreprise à court, moyen et long terme des risques matériels et des opportunités découlant de (c’est-à-dire ceux liés à) l’impact et à la dépendance de l’entreprise à l’égard de l’eau et des ressources marines)

Pour répondre à ces nouvelles exigences les entreprises devront alors mettre en place une réelle stratégie afin de mesurer leurs usages de l’eau, leurs impacts sur la qualité des ressources d’eau et surtout intégrer sa protection dans leurs démarches. 

Entreprises et eau - Vanessa LOGERAIS

Vanessa LOGERAIS Parangone

« La CSRD est une chance d’intégrer enfin la protection des ressources naturelles et la biodiversité dans les stratégies de responsabilité sociétale des entreprises, notamment pour les activités les plus aquavores. Les tentatives actuelles pour l’édulcorer seraient de l’ordre du suicide collectif. Quoi qu’il advienne du caractère réellement coercitif de la CSRD, les entreprises ont compris qu’il était de leur intérêt vital d’avancer sur ce sujet de la protection de l’eau » 

 

Agir concrètement, accompagner le changement et mesurer

Mais alors comment s’y prendre pour “bien faire” ? Prenons l’exemple d’un exploitant de réseau de bus. Dans un souci d’hygiène irréprochable et un service décent fourni aux usagers, le parc de véhicules nécessite un lavage régulier, ce qui peut représenter un usage important d’eau – environ 40 000 litres par an/par bus en moyenne.  

Pour répondre aux exigences de l’ESRS 3, l’entreprise pourra établir une feuille de route intégrant les étapes et actions suivantes :

  • la définition des enjeux : le volume de l’eau de lavage mais aussi le cycle de cette eau et son rejet ; le potentiel d’économie de la ressource mais aussi d’économie financière ; l’investissement nécessaire pour se transformer
  • l’analyse des risques et la définition du niveau de dépendance en intégrant le principe de double matérialité 
  • la consultation des métiers et des services concernés pour être en prise avec les usages liés à la ressource au sein de l’entreprise
  • la définition des indicateurs de performance spécifiques à la gestion de la ressource eau et le choix et mise en place d’une solution SAS de pilotage des indicateurs et de la donnée pour donner de la visibilité sur l’amélioration continue et partager la performance avec les parties prenantes à partir des référentiels en vigueur*
  • l’identification le cas échéant de fonds fléchés, notamment les fonds européens FEDER pour la construction d’une station d’éco-lavage par exemple
  • la définition d’un plan d’action : système de récupération d’eaux pluviales, programmation des lavages en fonction des conditions météorologiques, lavage sans eau en période de sécheresse, équipements de limiteurs de débits, définition d’un seuil maximal hebdomadaire pour éradiquer le gaspillage, utilisation de produits biodégradables et écolabllisé, interdiction des produits phytosanitaire, analyse annuelle des eaux usées, des eaux pluviales et des eaux souterraines
  • la sensibilisation aux enjeux de biodiversité et de protection de la ressource de tous les collaborateurs
  • l’accompagnement au changement pour les fonctions et les métiers les plus exposés.

 

Article rédigé par Marie Muchova

*Parangone et ZEI se sont associés pour répondre aux enjeux de la CSRD avec une proposition d’accompagnement outillé pour construire le plan d’action et garantir un reporting fiable et mesuré. Pour toute information : developpement@parangone.org

Pour plus d’informations sur la CSRD, consulter notre article complet sur la nouvelle directive.

Sources :

ANSES https://www.anses.fr/fr/content/polluants-emergents-dans-leau-potable-le-point-sur-les-principaux-resultats-de-la-derniere-2

Ministère de la Transition Écologique http://propluvia.developpement-durable.gouv.fr/propluvia/faces/index.jsp

European Financial Reporting Advisory Group https://www.efrag.org/lab6

 

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