Indissociable de l’enjeu climatique, celui de la préservation et de la restauration de la biodiversité est soumis aux lenteurs et rétropédalages législatifs et aux pressions du lobbying qui entrave le consensus politique. Faut-il s’en désespérer ? ZAN, restauration de la nature, déforestation importée…On fait le point sur la biodiversité dans le débat politique, ce qui avance malgré tout, et le rôle des entreprises pour agir, avec ou sans législation.
La ZAN : une loi motrice pour la protection de la biodiversité qui bouleverse les pratiques territoriales.
Une avancée dans la continuité de la loi « Climat et Résilience » de 2021
Dans le cadre de la loi « Climat et Résilience » promulguée en août 2021 en réponse aux travaux de la Convention citoyenne pour le climat, la démarche ZAN (Zéro Artificialisation Nette) demande aux territoires de diviser par deux le rythme d’artificialisation des sols d’ici 2030 afin d’atteindre l’objectif du 0 artificialisation nette d’ici 2050. Chaque m2 bétonné devra totalement être compensé par un m2 rendu à la nature.
Si l’on s’en tient au texte de loi initial, la ZAN concerne toutes les opérations qui consistent à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier par des opérations d’aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport ».
La commission européenne soutient également l’objectif national ZAN pour neutraliser l’impact des villes sur la biodiversité et le changement climatique sur le constat suivant : l’artificialisation dégrade la biodiversité, augmente les risques d’inondations et contribue au réchauffement climatique en libérant du CO2 stocké dans les sols.
L’application de la ZAN : un terrain de division
Depuis les dernières élections législatives, la ZAN divise la classe politique et révèle des postures emblématiques de la persistance des modèles existants en grande partie au nom du maintien des intérêts économiques, et de la résistance au changement. En effet, le sujet de la biodiversité dans le débat politique implique un éternel désaccord.
À commencer par le Sénat : à la faveur d’une concertation menée par lui-même démontrant que la grande majorité des Français est opposée à l’objectif ZAN, il produit en mars 2023 un projet de loi « visant à faciliter la mise en œuvre des objectifs du « zéro artificialisation nette au cœur des territoires ». Le texte cherche à assouplir – amoindrir semble plus juste – la portée de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique. Ce texte est suivi et/ou alimenté par les fédérations professionnelles des secteurs les plus concernés : l’immobilier et le bâtiment.
- La Fédération française du bâtiment (FFB) pointe le risque « d’accentuer la pénurie foncière » et de renchérir encore les prix de l’immobilier avec « un double effet négatif, sur le prix et sur la qualité de vie »
- La Fédération des promoteurs immobiliers (FPI), s’appuie sur l’injonction du CESE « de réfléchir collectivement à la promotion de formes d’urbanisme moins consommatrices de foncier sans réduire le nombre de logements, leur qualité ou leur confort », pour rappeler la priorité du logement, sans s’opposer radicalement au principe de ZAN.
Quant aux Chambres d’agriculture, la position est sans surprise ambivalente : pour l’assouplissement de l’objectif d’artificialisation lorsqu’il s’agit des bâtiments agricoles (à ne pas inclure dans le compteur selon eux) et contre lorsque cela donne aux communes un droit d’artificialisation minimum ou un droit de préemption.
Et du côté des élus locaux ? L’Association des Maires de France abonde dans le débat en dénonçant un risque de « fractures territoriales en opposant les projets entre eux, et sont contre-productifs car leur application arithmétique et indifférenciée va à rebours des aménagements vertueux en matière de lutte contre le changement climatique, mais aussi des aménagements indispensables à l’ambition de réindustrialisation du pays ».
Alors est-il possible de concilier développement et objectif ZAN ?
Zéro artificialisation nette : oui, mais pas trop !
La proposition de loi sénatoriale a été votée par une large majorité le 27 juin à l’Assemblée nationale. Cependant, cette loi n’a pas fait l’unanimité notamment sur l’artificialisation qui concerne les projets “d’intérêt national”. Dans ces projets on peut compter les lignes TGV, les bases militaires ou les grands complexes industriels.
L’objectif ZAN est à l’heure actuelle suspendu à un compromis final entre les objectifs contenus dans la loi d’origine “Climat et Résilience”, d’août 2021, et le projet de loi porté par le Sénat qui a été modifié dans son intitulé. Cela maintient de fait, une ambiguïté sur sa finalité. La proposition de loi adoptée “vise à renforcer l’accompagnement des élus locaux dans la mise en œuvre de la lutte contre l’artificialisation des sols”. En effet, c’est finalement un texte retravaillé silencieusement par les sénateurs que les députés ont voté.
A l’heure actuelle, nous sommes dans l’incapacité de conclure si oui ou non, les objectifs initiaux de la loi ZAN sont toujours maintenus.
Loi sur la restauration de la nature : un combat serré entre la biodiversité et l’activité humaine
Une initiative législative européenne inédite pour restaurer la nature
En Europe, 81% des habitats sont détériorés et 1677 espèces sont menacées d’extinction. Pour inverser cette tendance, la Commission européenne a proposé, en juin 2022, une loi sur la restauration de la nature, assorti d’un budget de 100 milliards d’euros. Inscrit dans le Pacte Vert de l’Union européenne, le projet prévoit des mesures de restauration pour au moins 20 % des terres et 20 % des mers de l’Union européenne d’ici 2030, ainsi que pour toutes les zones nécessitant une restauration d’ici le milieu du siècle (forêts, océans, zones urbaines et zones agricoles, zones humides…).
Mais là encore, les instances démocratiques sont le théâtre de fortes oppositions.
La protection de la biodiversité : une préoccupation secondaire pour la moitié du Parlement
Le texte de loi a été soumis le 15 juin au Parlement européen. Une majorité de députés centristes (notamment allemands et néerlandais), de droite et d’extrême droite s’allient pour s’opposer à cette loi au nom de la défense des agriculteurs et des pêcheurs et réclamer purement et simplement le retrait du texte. Si cette coalition a échoué à le faire rejeter, le clivage s’est installé avec 44 voix pour et 44 voix contre.
Parmi les opposants au projet de loi, les membres du Parti populaire européen soutiennent que « dans le contexte général d’inflation massive, d’insécurité alimentaire mondiale et de crise énergétique, cette proposition est dangereuse et ne fera qu’accentuer la dépendance du continent européen à l’égard des importations ».
Les scientifiques ont en effet bien rappelé que « les plus grandes menaces pour la sécurité alimentaire étaient le changement climatique et la dégradation de la nature – et que des mesures pour restaurer la nature et réduire l’utilisation de produits chimiques agricoles étaient nécessaires pour maintenir une production alimentaire durable ».
La préservation de la biodiversité sauvée de justesse
Le 12 juillet, la loi sur la restauration de la nature a été sauvée in extremis par le Parlement européen. « Un vraiment moment de bonheur ! », a immédiatement tweeté Pascal Canfin, président de la commission Environnement. Les eurodéputés ont adopté cette loi, à 336 voix contre 300. Le texte a cependant été fortement affaibli, notamment à travers la suppression intégrale de l’article portant sur la restauration des écosystèmes agricoles.
Il garde toutefois l’objectif principal de mise en place des mesures de restauration sur 20% des terres et 20% des mers européennes, d’ici à 2030. Mais tout n’est pas fini. Après le vote du parlement, il faut désormais laisser place aux négociations entre la Commission, les parlementaires et les États.
La nouvelle législation contre la déforestation : au moins un acquis pour la défense de la biodiversité en Europe
Agir ici pour protéger là-bas : une première avancée concrète
Le 19 Avril 2023, le Parlement européen a voté le “règlement européen de lutte contre la déforestation et la dégradation des forêts”, axé sur les filières bois, viande bovine, soja, huile de palme, cacao et café. Cette loi prévoit donc d’interdire l’importation de tous les produits originaires de terres déboisées après le 31 décembre 2020. Cependant, elle présente des insuffisances et des risques.
À l’origine de 16 % de la déforestation mondiale par le biais de ses importations (majoritairement de soja et huile de palme, chiffres de 2017), l’UE est le deuxième destructeur de forêts tropicales derrière la Chine, selon le WWF.
Cette nouvelle législation donne un vrai élan dans ce cauchemar de la destruction de la biodiversité, avec un impact concret dans la vie des entreprises particulièrement dépendants des importations : ils devront prouver que les biens ne proviennent pas de terres déboisées à partir de 2021, que ce soit en Europe ou dans le monde.
« Nous perdons chaque année environ 10 millions d’hectares de forêts dans le monde et cet instrument va mettre un terme à cela », explique l’eurodéputé Christophe Hansen (PPE).
Les entreprises, principalement les producteurs de biens de consommation, devront fournir aux autorités compétentes des informations pertinentes telles que les coordonnées de géolocalisation. En cas de non-respect des règles, les sociétés pourront recevoir des amendes qui pourront atteindre jusqu’à 4% du chiffre d’affaires annuel total dans l’UE du fournisseur.
Alors, quand une loi est adoptée, après un long parcours de turpitudes, que se passe-t-il ?
Un changement radical pour les marques et les entreprises ?
Pas vraiment perceptible dans un premier temps : en réaction à cette annonce législative, le fonds allemand Union Investment, présent au capital d’Unilever et Reckitt, a écrit à 56 entreprises pour en savoir plus sur la déforestation dans leurs chaînes d’approvisionnement.
D’après le Magazine Les Echos – Investir, un document interne consulté par Reuters montre qu’Union Investment n’a reçu que 30 réponses. Une situation inédite, les entreprises répondent généralement toutes à ce type de sollicitation. Parmi celles-ci, seules 14 entreprises ont déclaré avoir des objectifs de déforestation zéro.
Mais à l’approche de l’échéance de la mise en œuvre, la menace se fait plus forte du côté des investisseurs : les entreprises auront 18 mois pour garantir la traçabilité de leurs produits via des données de géolocalisation des cultures, produire des formulaires électroniques de « diligence raisonnable »
Le média Novethic a mené son enquête dans son article « Ferrero, Carrefour, comment les entreprises se préparent à la fin de la déforestation importée » du 26 mai.
Le groupe Ferrero, régulièrement accusé de contribuer à la déforestation, qui a soutenu publiquement le projet de réglementation européenne, met en avant des progrès notables en matière de traçabilité : 98% de son approvisionnement en huile de palme était ainsi « vérifié zéro déforestation, 2% restant sous investigation », en août 2021. Concernant le cacao, en 2021-2022, 96 % des approvisionnements étaient traçables jusqu’aux exploitations par coordonnées GPS et 89 % par cartographie polygonale – le niveau de traçabilité le plus élevé.
CONCLUSION
En France comme en Europe, le débat politique sur la biodiversité s’apparente au jeu de tir à la corde. Un jeu dangereux où le franchissement de la ligne fait perdre de précieuses années dans la lutte contre le dérèglement climatique et la destruction du vivant. Il devient vital que la responsabilité sociétale des entreprises soit vue et encouragée comme un outil majeur de mise en œuvre des politiques publiques, au-delà des clivages politiques menant à l’inertie.
Voir aussi l’article « Entreprises, pourquoi et comment mettre de l’eau dans sa stratégie RSE
Cet article a été préparé par Lucie Meissonnier sous la direction de Vanessa Logerais.