Entretien avec Martin Kriz, analyste et consultant financier
Ancien consultant du BIG4 et de la private equity spécialisé dans l’analyse financière et la gestion de la stratégie d’entreprise, Martin Kriz s’est ensuite orienté vers la gestion financière. Martin collabore aujourd’hui avec Parangone pour accompagner la mise en place d’un nouveau dialogue entre culture financière et extra-financière et clarifier l’articulation RSE/ESG. Entretien pour en décrypter les enjeux.
A travers ton expérience, comment sont abordés les enjeux ESG dans la culture financière ?
La finance est une vaste discipline et il faut en distinguer plusieurs niveaux lorsque l’on évoque les critères Environnement Social Gouvernance (ESG) :
- La finance des maisons bancaires et les fonds évaluent les entreprises et les différents projets selon les critères ESG pour être en mesure de les comparer dans un objectif d’investissement. C’est ce que l’on appelle la finance durable.
- La finance stratégique en entreprise qui cherche la valeur ajoutée, évalue les impacts et les risques sur l’entreprise et guette les opportunités de business développement, comme par exemple des avantages concurrentiels. Et ce domaine de la finance est orienté sur les facteurs ESG bien sûr.
- La finance des services de comptabilité et de contrôle qui restent eux généralement éloignés de la dimension de l’ESG ou la durabilité, même si cela évolue progressivement.
Comment en es-tu venu à t’intéresser à la dimension extra-financière ?
Ma motivation principale est éthique. Pouvons-nous continuer à aller au travail au volant d’une vielle voiture diesel ? Évidemment que non. Est-il acceptable de continuer à avoir recours aux emballages plastiques sous prétexte que c’est pratique ? Pouvons-nous ignorer la diversité présente dans notre société ou faire appel à une main-d’œuvre off-shore sous-payée ? On est tous bien d’accord que non. Mais si on veut prendre ces questions au sérieux, est-ce suffisant de s’appuyer sur le seul bon sens ou l’honnêteté des entreprises et des individus ? Définitivement non. Il faut mettre en place un système de gestion de ces facteurs. Et pour les gérer il est indispensable d’avoir dans un premier temps des outils de mesure et de reporting.
Il y a eu ensuite le déclencheur de la pression du marché – aujourd’hui les facteurs ESG sont fortement pris en compte par les clients finaux, mais aussi par les talents sur le marché du travail. Les enjeux de durabilité et d’éthique semblent de toute évidence devenir incontournables pour la stratégie des entreprises et je ne voulais pas rater ce « train vert ».
Et c’est ici que j’ai identifié une liaison avec mon parcours, qui consiste précisément à chercher à quantifier et cadrer les données hétérogènes. Pourquoi ne pas mettre cette compétence au services les enjeux ESG ? D’après une étude de KPMG (à consulter ici) 90 % des membres de conseils d’administration interrogés déclarent vouloir augmenter leurs investissements dans l’ESG au cours des trois prochaines années. Parmi ces investissements, le recrutement de profils spécialisés dans l’ESG représente à 43 %, ce qui révèle une perspective intéressante du marché du travail.
Comment as-tu pris connaissance de la CSRD ?
Par affinité personnelle et à travers la conviction que l’approche de la durabilité devenait un sujet omniprésent et inévitable, je me suis rapproché de la responsable du département de durabilité et j’ai commencé à me documenter sur la réglementation en vigueur et à lire les rapports et les articles de la presse spécialisée.
Très vite je me suis interrogé sur la manière dont on peut comparer 10 entreprises en fonction de leurs critères ESG, alors que leurs rapports de développement durable sont tous différent les uns des autres. Certains vont davantage se focaliser sur la réduction des GES, d’autres sur la dimension d’économie circulaire… Et la CSRD a fait son apparition. Je me suis plongé dans son étude et ai ensuite suivi une formation spécifique pour m’approprier la directive.
Que va changer la CSRD au métier de la gestion stratégique des entreprises ?
La CSRD est une directive, c’est donc un outil peu populaire, qui va, dans un premier temps à marche forcée, amener les entreprises à relever de nouveaux défis :
- Implanter la culture RSE et les critères ESG au cœur de la gouvernance et le modèle opérationnel de l’entreprise
- Encourager l’appropriation de la durabilité à travers l’organisation afin qu’elle devienne un sujet transversal. En un mot, la RSE ne sera plus que l’affaire des responsables RSE ou des services communication et marketing
- Évaluer et gérer les risques et les opportunités liés aux questions ESG en prenant en compte l’impact de l’activité de l’entreprise sur les facteurs de durabilité, et à l’inverse des facteurs de durabilité sur l’entreprise : c’est le concept de la double matérialité, socle de la CSRD
- Déclencher des dialogues plus étroits avec les parties prenantes (avec les fournisseurs notamment) car l’entreprise sera également obligée de rendre compte de leurs approches
Quelle est selon toi la plus grande opportunité de la CSRD et pourquoi les entreprises ne devraient pas en avoir peur ?
Avant tout il faut dire que de nombreuses entreprises ont déjà atteint des niveaux très avancés dans leur maturité RSE et ont déjà des obligations de reporting ou publié un rapport RSE ou une DPEF. En d’autres termes tout le monde ne part pas de zéro. La CSRD donnera à cet exercice une certaine standardisation et augmenta son niveau de pertinence.
Je fais un parallèle avec le Toyota Production System à l’origine du modèle de Lean Management. L’objectif était d’augmenter la valeur pour le client en réduisant les gaspillages et les activités redondantes afin d’augmenter la productivité. Or le lien entre la sécurité, la propreté et la productivité n’était peut-être pas aussi évident à l’époque. Et pourtant aujourd’hui le lean management est au cœur du processus de production.
« La CSRD présente un potentiel transformatif que l’on peut comparer à la révolution du Lean Management. »
Passer au crible le modèle opérationnel sous le prisme de l’ESG et la formalisation de la mesure des indicateurs clés ont certainement le potentiel d’accroître la transparence des entreprises et contribuer à un modèle transformatif.
Et cela ne concerne pas que les grandes entreprises. Un autre exemple : Suivant le principe des parties prenantes, les grandes entreprises contacteront leurs PME fournisseurs pour inclure leur score dans leur rapport CSRD. Dans un secteur où la concurrence est intense, le fait que le bilan soit calculé sur une base volontaire pourrait représenter un avantage clé. Il existe d’ailleurs un projet de normes simplifiées pour le rapport volontaire pour les PME.
Quels sont à l’inverse selon toi les points de vigilance à avoir à l’égard de la CSRD ?
La CSRD apportera une transparence sur les sujets environnementaux, sociaux et de gouvernance, ce qui est un enjeu de réputation pour les entreprises.
Mais il convient aussi d’éviter toute forme de naïveté. Nous ne sommes qu’au début de la standardisation. Ce qui veut dire que ces normes ne seront surement pas parfaites et la mise en place des processus entraînera une certaine charge administrative, difficile à absorber.
Si le but de la CSRD est, comme le dit la Commission européenne, « d’aider les investisseurs, les organisations de la société civile, les consommateurs et autres parties prenantes à évaluer la performance des entreprises en matière de développement durable », ma question est : si je lis 5 rapports CSRD de fournisseurs/partenaires potentiels, pourrai-je évaluer objectivement leur impact ESG ? Oui pour les indicateurs quantitatifs, mais ils ne font que 1/3 de l’ensemble des « data points ». Donc il ne faut pas attendre des miracles en termes de capacité d’harmonisation.
Tu travailles aux côtés de l’équipe Parangone sur les premiers cas d’application de la nouvelle directive. Quelles seraient tes recommandations aux entreprises ?
Je recommanderais à toute direction d’envisager de :
- Déterminer les aspects ESG potentiellement clés dans son modèle opérationnel
- Identifier les données déjà disponibles et les organiser
- Identifier dans l’équipe les agents naturellement motivés pour se lancer dans l’ESG et organiser la gouvernance pour cette transition
- Informer les parties prenantes (y compris les effectifs) sur le fait qu’on a commencé de travailler sur le sujet
- Former l’ensemble de ses équipes
- Consulter un cabinet spécialisé comme Parangone, qui vous orientera en quelques heures vers les grands enjeux de l’exercice.
En quoi la méthode Parangone apporte une réponse pertinente aux entreprises ?
Étant donné que la législation CSRD est nouvelle, nous sommes tous au point de départ dans l’approche. Mais Parangone accompagne les entreprises depuis 15 ans dans leurs réflexions sectorielles sur le développement durable et la RSE à travers l’accompagnement à la labellisation, les normes ISO et vers des stratégie RSE robustes. Cela fournit une base solide pour cette nouvelle tâche complexe, à travers une méthode d’accompagnement efficace et éprouvée.
Parangone présente par ailleurs l’énorme avantage d’intégrer dans son offre d’accompagnement outillé des solutions partenaires SaaS qui donnent à l’ensemble du processus une certaine dynamique dans le pilotage de la donnée et une assurance d’exhaustivité et de conformité.